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CENT CINQUANTE DEUXIEME JOUR
La VAM arrive comme prévue, un CASA. Elle débarque le nouveau COMDET, un lieutenant-colonel de l'artillerie de marine. Il est pris en charge par le COMDET descendant pendant que nous vaguons à nos occupations mensuelles de début de mois. Il y a du travail pour nous jusqu'à 12h30, nous pouvons alors enfin aller manger. Il commençait à faire faim.
La VAM repart vers 15h30.
Cela nous a fait un peu d'occupation, rompant avec la monotonie de la vie du camp, bien calme ces dernières semaines. L'absence d'activités opérationnelles me prive de ma source principale de photos et d'anecdotes à raconter. J'espère pouvoir tenir le coup jusqu'à la fin du mandat, début juin.
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CENT CINQUANTE TROISIEME JOUR
Au boulot les mécanos |
Enfin, une vraie mission, une intervention dans nos cordes. Je téléphone au garage qui nous envoie une P4 avec deux personnels et une roue de rechange. Je mets Abakar à la porte, d'ailleurs, lui aussi doit intervenir sur l'aéroport. Avec Jean-Philippe, et l'équipe du NTI 12, nous partons à la rescousse de Sam.
Dommage que nous n'ayons pas de deux-tons sur notre P4. Nous avons un gyrophare mais pas de sirène. Nous aurions fait une intervention hurlante, genre Starsky et Hutch.
Nous traversons néanmoins précautionneusement Abéché dont les embarras de la circulation sont légendaires et bien réels. Je roule en tête, un oeil dans le rétroviseur, vérifiant que la P4 du garage nous suit.
Nous retrouvons Sam quelques kilomètres à la sortie de la ville, en direction d'Abéché. Il est garé sur le bas-côté, nous attendant sagement appuyé sur le capot. Et il est déjà 11h30, nous devrions déjà être attablés. Il nous revaudra ça, Sam.
Le pneu avant droit a éclaté. La bande de roulement a été arraché sur la moitié de la circonférence. Normal, c'est un tubeless et un idiot y a mis une chambre à air.
Nous sommes à peine arrivés que les gamins se rassemblent déjà autour de nous. Pour changer, ils ne sont pas quémandeurs. Il y a un jeune tchadien à côté de nous en train de téléphoner comme s'il n'avait rien d'autre à faire à cet endroit là et à ce moment là. Quelques minutes plus tard, une vieille voiture japonaise arrive, venant de Abéché. Elle se gare de l'autre côté de la route et un homme en descend qui vient nous saluer. Très aimable de sa part. Nous le rassurons, nous gérons très bien l'incident nous-même. L'individu repart.
Je vais jouer mon schizophrène mais serions-nous surveiller ? Ce jeune homme téléphonant aurait-il appelé une quelconque autorité ou discrète officine travaillant pour la sécurité de l'état qui se serait transportée sur place pour vérifier ce que nous faisions ? Il serait anormal que l'état tchadien ne s'intéresse pas à nos activités.
La roue est vite remplacée, nous pouvons regagner la base. Il est 12h30 lorsque nous allons enfin déjeuner.
Quelle aventure !
Les vendeurs de souvenirs de la base ont mis la main sur Jean-Philippe qui est train d'y laisser sa paye. Il y a longtemps que je ne m'approche plus de leur petit marché et que je les évite comme la peste. Mes finances ne s'en portent que mieux.
C'est jeudi, donc soirée mange-debout. Hamburgers, meilleurs que d'habitude, mieux garnis. Peut être l'effet du changement de cuistot. Un karaoké est lancé. Nous nous esquivons discrètement.
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CENT CINQUANTE QUATRIEME JOUR
Les seuls qui bossent |
Soirée pizzas chez les pompiers. Il y a moins de monde que d'habitude et moins d'ambiance également. Signe que la fin du mandat approche ? Fatigue des personnels ? Trop de soirées en même temps ?
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CENT CINQUANTE CINQUIEME JOUR
L'après-midi, nous accompagnons Samuel en ville pour lui montrer les coins intéressants, genre restaurants et bars. Le tour est vite fait, La Rose du Sable, le Santana, le Méga.
Nous sortons des grands axes goudronnés pour nous aventurer dans les ruelles avoisinantes. Dans le quartier, les rues sont étonnamment propres, étonnamment planes même si elles sont loin d'être rectilignes. Des poteaux électriques et téléphoniques jalonnent notre itinéraire, entrecroisant leurs fils au dessus de nos têtes. Nous apercevons des compteurs électriques à l'intérieur des cours.
Je regarde le dernier Robin des Bois, de Ridley Scott, sur mon portable. Le scénario est à l'opposé de tous les clichés hollywoodiens et c'est peut être pour cela qu'il ne fonctionne pas. J'abandonne à la moitié et j'efface le film. Il ne mérite pas mieux. Le réalisateur n'est pas au mieux de sa forme en ce moment.
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CENT CINQUANTE SIXIEME JOUR
Pensif |
Il est situé près de la place de l'Indépendance et de l'état-major de la RM5. Nous essayons de suivre la land-rover des ACM mais nous les perdons dans la circulation routière dominicale, aussi intense que tous les jours. Nous empruntons un chemin qui longe la RM5 pour déboucher au milieu d'un vaste espace dégagé où stationnent plusieurs véhicules blindés à roues. Ce doit être l'escadron blindé. Je reconnais des AML 90, des VAB chinois et quelques inconnus, alignés pour la plupart sous un vaste hangar ouvert à tous vents. Certains blindés sont sur chandelles, une ou plusieurs roues manquantes. Des soldats traînent ci et là, à peine intéressés par notre cérémonie.
Le carré militaire français est implanté au milieu du cimetière. C'est une double rangée de tombes menant à imposant monument blanc, dressé à la mémoire des soldats français mort pour la patrie en ces lieux et plus particulièrement à la mémoire du lieutenant-colonel Moll, de l'infanterie coloniale tué au combat à Doroté le 09 novembre 1910. Je compte une vingtaine de tombes à peine marquées, des rectangles de graviers délimités par une petite bordure de pierres. Des carrés de pierre blancs, surmontés d'une croix, me donnent l'identité des décédés, un grade , un nom, une date, des caporaux, des sergents, des officiers morts entre 1910 et 1927. A droite du monument aux morts, deux grandes stèles, dressés à la mémoire de 2 combats menés à Doroté et à Ouadi Kadja en janvier 1910, égrènent sur le marbre la liste des victimes, des officiers et sous-officiers de la coloniale, de l'artillerie, de la cavalerie. Des noms bien de chez nous, de la France profonde, Brulé, Joly, Leclerc, Noël, Bal, Bergère, Pouillot. Il n'y a aucun nom de simples soldats. Ils étaient peut être des soldats indigènes, enterrés ailleurs ou oubliés.
Les tombes chrétiennes civiles encore visibles sont de grands sarcophages de briques grises, parfois effondrés. La date visible la plus récente remonte à 1975. Des stèles sont lisibles, en français, en français et en arabe. L'une est en français et en grecque, pour un homme né en 1855 et mort en 1937. Les stèles franco-arabe honorent pour la plupart la mémoire de jeunes enfants des années trente, décédés en bas-âge.
Si un muret entourait jadis le cimetière, il a aujourd'hui disparu. Un troupeau de chèvres passe entre les tombes. Des ordures poussés par le vent s'accumulent dans un coin.
L'endroit tombe peu à peu dans l'oubli et l'indifférence. S'il n'y avait les soldats français des EFT et leurs goûts des cérémonies commémoratives, ce ne serait déjà plus qu'un terrain vague, mangé par la poussière. Que ferons nous des dépouilles de ces obscurs héros lorsque nous ne serons plus là ? Qui viendra les honorer ? Qui viendra se souvenir de leurs sacrifices ? Laisserons nous leurs tombes servir de carrières à pierres, de pacages à chèvres ? Même s'ils ne sont plus que cendre et poussière, peut être que tous nos soldats morts pour la patrie au-delà des mers méritent plus qu'une simple stèle abattue dans le sable, une simple tombe avalée par la jungle, oubliées de tous et de la France.
Un piquet d'honneur français d'une dizaine de soldats prend place. Nous sommes à peine autant pour la troupe sans arme. On amène, avec mille précautions, nos trois derniers anciens combattants tchadiens. On attend les autorités locales. Ils sont à peine en retard, le COMLEGION de la gendarmerie, le préfet, le directeur de cabinet du gouverneur, le maire de la ville.
Le piquet présente les armes. Le COMDET lit l'ordre du jour du ministre Longuet. Avec le maire et le préfet, il dépose une gerbe de fleurs. La cérémonie prend fin.
Elle en a vu des vertes et des pas mûres cette gerbe de fleurs artificielles, la Saint Valentin, la commémoration de la mort du capitaine Croci, les 25 ans de l'opération Epervier. Elle a résisté à la chaleur infernale du Sahel et aux crocs de Imar. Elle survivra bien encore à quelques cérémonies.
Je vais saluer l'escorte armée du COMLEGION qui attend à l'entrée du cimetière. L'un des gendarmes fait sa forte tête. Il interpelle d'une manière agressive notre photographe et nous demande ce que lui et ses camarades font là, ce n'était pas leur guerre. Cela est vrai mais il devrait prendre un cours sur le protocole.
Avant de partir, nous récupérons la gerbe de fleurs artificielles et les stèles des tombes militaires. Laissées sur place, elles ne feraient pas long feu.
Nous rembarquons, direction la base où nous attend une deuxième cérémonie, plus vaste. Tout le détachement est rassemblé en armes autour de la place d'arme. Une tente a été dressée pour abriter les invités, deux fois moins que prévu. Il est 09h00, le soleil grimpe dans le ciel. Il fait chaud, de plus en plus chaud. Un soldat manque de tomber sous l'effet de la chaleur.
La cérémonie est vite expédiée. Nous prenons la direction du foyer où un pot a été préparé pour les invités et les militaires. Jus de fruits, café, eau, délicieuses pâtisserie nous attendent. Les boissons ont le plus de succès. On se déshydrate vite sous ces latitudes.
En ce jour de commémoration c'est fête également à l'ordinaire. On retrouve les jours fastes du mois de décembre, foie gras, saumon fumé, crevettes grillées, jambon fumé bien sûr, et un délicieux pavé de bœuf, épais mais cuit à point, fondant dans la bouche. Seul le vin reste à améliorer, et c'est peu dire.
Ridley Scott remonte dans mon estime avec Mensonges d'Etat. La réalisation est correcte mais le sens profond de l'histoire m'échappe un peu, encore un film sur les turpitudes et l'absence de morale des services secrets, occidentaux en l'occurrence. Avec tous ses films moralisateurs sur la guerre en Irak et le terrorisme islamiste, on commence à se demander qui est le bon et qui est le méchant dans tout cela. En face, ils se posent moins de questions.
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