ungendarmeautchad
CENT VINGT DEUXIEME JOUR
Pas très rassuré quand même |
Nos trois pompiers nous accompagnent avec leur camion de lutte contre les incendies. Au passage, nous allons prêter assistance à l'administration préfectorale du Ouara qui va effectuer une opération d'écobuage près du village de Tchigchica, à une cinquantaine de kilomètres de la ville.
Je m'installe à l'arrière d'un VLRA, je suis seul. Je profiterai du paysage en égoïste. Heureusement, les banquettes sont rembourrées, c'est tout dire lorsque je vois que le conducteur est une conductrice et le chef de bord idem. Vous savez ce qu'on dit des femmes au volant, mais ça va, Nadia ne roule pas trop mal. Elle ne me secoue pas trop.
Nous prenons la route de N'Djamena, vers l'est. Fini les pistes sablonneuses, à la sortie de la ville un long ruban d'asphalte nous ouvre les bras, propre, lisse, sans raccord, sans nid de poule, un billard. Le convoi prend de la vitesse, il file les 60 – 70 km/h. Cela n'empêche pas d'être doublés par quelques véhicules de transports en commun. Je n'ose pas dire autocar même si cela y ressemble un peu.
Nous croisons de rares véhicules dont un triporteur perdu au milieu de l'immensité sahélienne. Quelques huttes sont assemblées ci et là au bord de la route, marquées par des panneaux d'entrées et de sorties d'agglomération.
Nous roulons depuis trois quart d'heure lorsque le véhicule des pompiers donnent des signes de faiblesse, d'échauffement je devrais dire. Il roule un peu trop vite, peu habitué à ces folles courses. Nous faisons une halte pour laisser le moteur se refroidir puis nous repartons, à vitesse réduite, 40 km/h.
Nous bifurquons plus loin pour emprunter la piste de terre qui mène au village de Tchigchica. Elle est en surplomb et doit servir de digue lors des pluies diluviennes, lorsque vient la saison. La terre, à la base de la piste, est craquelée en grandes plaques, signe d'une évaporation intense sous une grande chaleur.
Le village aux pieds d'une chaîne de collines de faible hauteur mais qui s'élève abruptement de la plaine. Je m'étonne de la largeur de cette piste lorsque j'en aperçois la raison.
Des pyramides grises, régulières, tranchent sur la couleur dorée des montagnes. Une structure industrielle se découvre derrière. De gros poids lourds chinois, chargés de graviers, stationnent dans entre les bâtiments : une carrière.
Le village de Tchigchica jouxte l'usine, une trentaine de cases, de huttes, d'abris de fortune faits de bric et de broc, abrite les ouvriers et ceux qui tirent un peu de richesse de la proximité de la carrière.
Au-delà du village, la piste s'arrête, s'efface, remplacée par les vagues ornières et traces de roues de ceux qui nous ont précédés.
Nous passons entre deux collines et débouchons dans une vaste plaine légèrement ondulée où l'horizon n'a d'autre limite que lui-même.
Le COMDET et les autorités préfectorales tchadiennes nous attendent à l'endroit choisi pour l'écobuage. Ils nous ont doublés plus tôt sur la route.
La zone à défricher, limitée par un large coupe-feu, est une grande savane herbeuse d'où s'élèvent de rares arbres. C'est déjà un peu le paysage des safaris africains mais je crois que l'on n'y trouvera ni lions ni girafes ni rien d'autre. Jadis peut être, au bon temps de la coloniale.
Les tchadiens mettent le feu, sous le vent, à la savane qui s'enflamme comme un feu de paille. Je sais maintenant d'où vient l'image. Notre camion de lutte contre l'incendie progresse au rythme de l'incendie, prêt à réagir s'il débordait le coupe-feu. Heureusement que tout se passe bien. Les flammes sont contenues à l'intérieur des coupe-feux. Quelques champs de mil résistent. Les chaumes, rases, dispersées au milieu d'une terre sableuse, n'offrent aucune chance à la propagation des flammes, surtout en absence totale de vent.
L'écobuage de la zone terminé, tout le monde se congratule, français et tchadiens, COMDET et préfet. Nous avions emmené dans nos camions une importante quantité d'eau, au cas où. Nous la distribuons à un campement de nomades voisin. Ils viennent, à pieds, à cheval, seuls, en famille, vieillards, femmes, enfants, en troupeaux, moutons, chèvres, chevaux, s'abreuver goulument et emplir calebasses de terre, bidons plastique, bouteilles d'eau minérale vides que nous leur donnons. Céline, le tuyau d'arrosage à la main, est la dispensatrice de ces bienfaits, Nymphéa guerrière.
Tout feu est éteint dans la zone écobuée, plus une fumée, plus une fumerolle. L'herbe sèche et jaune a laissé place à un tapis de cendres fines qui contraste sur la terre rouge.
Nous allons installer notre campement un peu plus loin, sous un bouquet d'arbres. Il était temps, il se fait déjà 13h30 et nous commençons à avoir faim. Le service de restauration de la base nous a préparé des sachets lunch, histoire de changer un peu des rations de combat, casse-croûte jambon-beurre mais sans le beurre, compote, pomelos, barre de fruits confits, petit gâteau.
Il est temps de monter le bivouac. Nous formons le carré avec nos véhicules et entourons l'ensemble d'un réseau de barbelés afin d'éviter les intrusions nocturnes inopportunes. Un filet anti-chaleur est tenu entre les camions et un vieil arbre. Les lits picots sont descendus et dépliés. Une réserve d'eau est installée à l'abri des regards, derrière un camion, le coin douche. Je m'effondre sous ma moustiquaire pour une sieste réparatrice. Une partie de belote acharnée s'annonce dans un coin.
Le soir venu, je vais me rafraîchir sous la douche. Un caillebotis de plastique est placé à même le sol, à côté de la réserve à eau. Il n'y a aucun rideau ou écran quelconque. A première vue, pas une âme qui vive dans les environs, sauf mes huit compagnons de l'autre côté du camion. J'essaye de m'asperger avec un antique seau-pompe mais il me manque au moins un bras supplémentaire pour l'actionner efficacement. J'en reviens aux méthodes artisanales éprouvées. Je remplis trois bouteilles d'eau, 4,5 litres, directement dans la réserve. Je m'inonde avec la première, je me savonne avec la seconde et je me rince avec la troisième. En cinq minutes l'affaire est faite. Je peux aller me rhabiller.
Nous nous y succédons tous, les deux filles y compris mais lorsqu'il fera nuit. Il est presque temps de dîner. David a prévu de se faire livrer un coupé-coupé par un personnel civil du camp mais le téléphone passe difficilement, nous sommes perdus au fond de la savane, nous trouvera-t-il ?
Le brasero est prêt, il chauffe depuis presque une heure. Nous sommes deux ou trois à avoir faim. Il est presque 20h00. Nous nous jetons sur les boîtes de ration de combat. Le chocolat à croquer est moelleux comme une gelée. C'est un produit qui n'aime pas trop les températures élevées. Je choisis la tartiflette que je fais réchauffer sur les braises. Les morceaux de lard sont un peu gros mais l'ensemble est satisfaisant. J'ai à peine fini mon repas qu'une voiture s'anonce, brinqueballant à travers les ouadis de la prairie. Le PCRL de David arrive enfin avec son coupé-coupé. Il ne reste que le temps de boire un coup et il repart.
Il nous a livrés un bon paquet de viande tranchée, quelques oignons et un sachet de piment en poudre. La viande rejoint le grill, les oignons sont hachés finement et le tout, une fois la viande cuite et tranchée, rejoint un morceau de baguette de pain pour faire un simple mais excellent casse-croûte. Nous nous régalons.
Les tours de garde sont distribués. Je finis le mien à 21h00, tiens il est déjà 21h00 et nous sommes encore en train de manger.
Je vais finalement me coucher, l'IPOD sur les oreilles, histoire de faire dormir. Le vent s'est levé, il souffle violemment, secouant le filet anti-chaleur et jetant à nos visages et sur les moustiquaires toute la poussière de la savane.
- Commentaires textes : Écrire
CENT VINGT TROISIEME JOUR
Julien en prince du désert |
Nous chargeons nos seaux-pompes et nos battes à feu dans deux véhicules et nous précipitons pour tenter de combattre le sinistre.
Poussé par le vent violent, le feu progresse à toute allure sur trois fronts, un mince mais ardent rideau de flammes qui avale la savane et recrache un tapis de cendre. Le feu est partout autour de nous, devant, derrière, à droite, à gauche. Où commencer ? Que faire ? Nous ne sommes que six.
Les seaux-pompes et les battes à feu se révèlent inefficaces. L'incendie engloutit plus et plus vite que nous n'arrivons à éteindre. Nous sommes asphyxiés par les fumées, aveuglés par les escarbilles, rôtis par la chaleur. Lorsque nous arrivons à éteindre une langue de feu d'un côté, nous nous apercevons qu'une autre s'élance ailleurs.
Un village nomade se trouve un peu plus loin. Les villageois, réveillés, heureusement pour eux, se joignent à nous. Les simples branches dont ils se servent avec une habilité certaine semblent plus efficaces que nos propres outils.
Après avoir couru sur près d'un kilomètre, l'incendie marque bientôt le pas. Son front ardent est morcelé, dispersé, arrêté par des bandes de sable sans végétation. Nous pouvons réduire alors une par une les langues de feu qui ne progressent plus que lentement.
06h00 du matin, l'incendie est circonscrit et maîtrisé. Les renforts de la base arrivent enfin, pompiers et section PROTERRE. Ils s'attacheront à éteindre les derniers foyers.
L'incendie s'est arrêté aux portes, si j'ose dire, du village nomade, à quelques mètres des premières habitations. Personne n'a été blessé, le bétail n'a pas souffert, aucune tente n'a été touchée.
J'ai une cendre dans l'œil droit qui me fait souffrir. Notre infirmier me lave les yeux et m'enlève cette écharde du pied, enfin la poutre dans l'œil, la cendre quoi.
Laissant mes camarades sur place, je rejoins la base où m'attend une somme de paperasserie.
- Commentaires textes : Écrire
CENT VINGT QUATRIEME JOUR
Mon guide et moi |
- Commentaires textes : Écrire
CENT VINGT CINQUIEME JOUR
Et on repart |
Jeudi, 07 avril 2011, 05h30, on répare enfin la porte de ma chambre en bouchant les interstices, les fentes, les failles entre le battant et le montant, par où mes amis rongeurs s'introduisaient à leur aise. Je passe une matinée dans mes pénates pendant que l'ouvrier des EDA scie, cloue, visse, râpe, lime. Nous faisons un essai, la porte ferme à merveille mais ça reste du bricolage assez infâme. Enfin, ici on fait ce qu'on peut avec ce qu'on a pas. Mais, l'ouvrier parti, lorsque je quitte ma chambre pour rejoindre le bureau, je veux verrouiller la porte à clé, le pêne dormant ne rentre plus dans son logement. Damnation ! Plutôt que de perdre mon temps à rappeler le factotum, je sors mon LEATHERMAN et quelques coups de couteau et de lime et la chose est arrangée. Je peux verrouiller ma porte.
Son excellence IDRIS ITNO DEBY, président de la république du Tchad arrive à Abéché pour une visite post électorale. Déclenchement du plan TAPIS ROUGE, plus personne ne sort de la base, ceux qui sont dehors doivent rentrer dare-dare. Dans ces moments là, l'Armée Nationale Tchadienne a la gâchette facile. Il doit rester plusieurs jours, nous sommes bloqués dans le camp la durée de son séjour.
Soirée mange-debout, comme tous les jeudis, croque-monsieur au menu. Ils sont énormes mais débordent de sauce, je ne vois même pas la garniture. Un peu décevant. Seule consolation, on passe quelques clips des années 80, U2, DIRE STRAITS, MICKAEL JACKSON.
- Commentaires textes : Écrire
CENT VINGT SIXIEME JOUR
Le temps se couvre ce soir |
La relève de Jean-Marc est un feuilleton à rebondissements. L'avion Paris-N'Djaména ne vient plus aujourd'hui mais demain. La VAM intrathéatre ne vient plus demain mais dimanche. Christophe devait d'abord arriver à Abéché par cette VAM et Jean-Marc partir mercredi ou jeudi, ensuite le COMPREVOT avait décidé de garder Christophe quelques jours à N'Djaména, finalement Christophe viendra quand même dimanche mais Jean-Marc s'en va par le même avion. Il passera trois jours dans la capitale tchadienne avant de regagner la France. Inch Allah, si Dieu le veut.
Jean-Marc passe la journée à préparer sa relève, mise à jour des procédures, liste des matériels à prendre en compte, liste des choses à faire, reversement de ses matériels.
En quittant ma chambre, après la sieste, je remarque que le ciel est étrangement couvert de nuages gris. La pluie viendra-t-elle enfin ?
Vers 18h00, le vent se lève brusquement et commence à souffler avec violence. Les nuages s'amoncèlent encore, plus bas. Ils sont lourds et noirs. L'horizon est voilé par la poussière que le vent soulève du sol. On entend le tonnerre dans le lointain. Devons nous nous attendre à une tempête de sable ou à un orage ? Peut être les deux. Quelques gouttes de pluie tombent. Ce sera tout. Le vent se calme finalement, les nuages se dissolvent dans la nuit.
La soirée pizzas des pompiers peut se dérouler au sec et dans l'ambiance et je continue à travailler au noir comme pizzaiolo.
- Commentaires textes : Écrire