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CINQUANTE CINQUIEME JOUR

 

 
Jeudi, 27 janvier 2011, 06h05, je n'avais pas réglé la fonction réveil de mon téléphone ce matin. J'ouvre les yeux assez tardivement après une assez bonne nuit.

Nouvelle matinée de colisage au transit. Les Mirages 2000 repartent vers 08h00. Ils sont suivis, à bord d'un Transall, par les mécanos, les fusiliers commandos, les techniciens et tout leur matériel. Cet avion n'a pas encore décollé que le Casa arrive pour une VAM de quelques passagers.

Avec Jean-Marc, nous travaillons dans le bruit des turbines et des hélices. On s'entend à peine.

A midi, c'est encore rations de combat, canard aux olives ou poulet à la parisienne. Ici, les conserves de plats cuisinés sont améliorées avec du riz et de la purée. Les contenus des boîtes d'un même menu sont mélangés et réchauffés dans un même plat et agrémenté de quelques épices. A N'DJAMENA, les boîtes sont servies fermées, sorties telles quelles des cartons et seulement passées au bain-marie. La seule amélioration consiste à servir la conserve sur une assiette.

Il s'agit de liquider les stocks de rations de combat dont les dates limites d'utilisation arrivent à échéance. Espérons que le stock n'est pas trop important.

En désert, nous avons du feuilleté aux bananes, quand même, et au fromage, du roquefort, entre autres. Je me rappelle qu'il y a quelques jours, nous avions eu du munster, mais pas assez fait, dommage.

Le foyer est fermé ce soir, pour cause de relève et passation de consignes. De ce fait, pas de soirée mange-debout, repas à l'ordinaire, comme d'ordinaire. Je dîne léger.

A 20h00, nous sortons en ville avec quelques militaires qui partent bientôt, direction Les Chinoises. Il y a foule, trois tchadiens, quatre levantins et quatre européens travaillant pour l'ONU. Je ne vois pas le petit rat.

Les levantins ont déjà bien bu, particulièrement le plus grand, assez grossier avec les chinoises. L'un de ses compagnons porte, avec son pantalon de jogging, de rutilantes babouches blanches taillées en longue pointe, c'est d'un plus bel effet. Peut être une mode à lancer.

Les européens sont en terrain conquis et tiennent fermement le bar. Ils maitrisent la télécommande de la sono. La musique est forte, les lumières sont tamisées, on se croirait presque en discothèque. On danse, on chante, on crie, l'ambiance est là.

Je me hasarde vers les toilettes, nécessité oblige. Elles sont encore pires que dans mes souvenirs.

Nous faisons la fermeture du bar et rentrons à la base.


 

CINQUANTE SIXIEME JOUR

 

La fanfare La garde au drapeau La gendarmerie L'armée nationale tchadienne La garde nationale nomade tchadienne

La fanfare
La fanfare 
Vendredi, 28 janvier 2011, 06h15, je me lève un peu fatigué, un peu trop pour aller courir.

La première relève arrive aujourd'hui, du sang frais, habillé de neuf. Ils descendent de l'avion, vêtus de treillis couleur sable, jusqu'alors l'apanage de l'armée de l'air. Nous ne serons que quelques uns à garder le camouflage OTAN.

Les nouveaux arrivants sont pris en charge par leurs homologues qui leur font faire le tour du propriétaire.

Jean-Marc et moi, qui, avec le COMDET, sommes encore là pour quelques mois, devons nous habituer à ces nouveaux visages. Ce sont eux les arrivants mais lorsque le dernier de l'ancien mandat sera parti, nous serons un peu nous les étrangers.

Nous sortons en ville pour rencontrer, enfin, peut être, le juge d'instruction. Il y a foule devant le palais de justice. La grille est cadenassée, nous nous glissons à la suite d'un militaire qui entre. La sentinelle armée nous laisse entrer.

Le magistrat est là mais nous devons patienter dans le hall. L'endroit est encombré de motos saisies. Elles ont été mises sous scellées depuis des lustres si l'on en juge par la couche de poussière qui les recouvre.

Un simple banc de bois court le long du mur. Des justiciables y patientent sous la surveillance d'un garde armé. Certains sont debout, comme nous. Une femme est couchée à même le sol, elle dort, ou patiente, en attendant son tour.

La foule devant la grille s'accroche aux barreaux, suppliant le garde de la laisser entrer. Il ouvre la porte au compte-goutte, après être allé chercher des instructions dans le bureau d'un magistrat.

Nous patientons une bonne demi-heure avant que le juge nous reçoive. Nous faisons le point avec lui sur l'évolution de ses investigations dans le cadre de la commission rogatoire internationale dont il est saisi, et dont nous sommes co-saisis pour lui porter assistance.

Malheureusement, ces investigations n'avancent pas. Les témoins qui doivent être entendus nomadisent en pleine brousse depuis des mois à deux cent kilomètres d'Abéché, peut être plus. Le juge propose d'aller à leur recherche, avec un hélicoptère par exemple, et français si possible.

Nous regagnons la base. Jean-Marc rend compte au magistrat français.

Couscous au déjeuner, malheureusement le mouton n'est pas assez cuit.

Dans l'après-midi, les nouveaux arrivants se succèdent dans notre bureau pour se présenter. Nous faisons plus ample connaissance avec eux, certains en soirée dans les popotes.

 

CINQUANTE SEPTIEME JOUR

 

Douaniers Démineurs, policiers municipaux Police nationale Détachement Intégré de Sécurité, autrement dit DIS Coopérant étranger

Douaniers
Douaniers 
Samedi, 29 janvier 2011, 05h30, footing, je me limite à cinq tours sinon je n'aurai pas le temps d'emmener mon linge chez les lavandiers. Après 07h00, ils refusent de prendre nos bassines, sauf à leur verser un dessous de table.

Je passe chez le coiffeur pour une boule à zéro. Non que j'ai les cheveux longs mais cette coiffure est plus agréable à porter avec la chaleur environnante qui augmente chaque jour d'un degré.

Encore une VAM aujourd'hui, elle est prévue pour arriver à 09h00, mais comme d'habitude elle arrive avec15 à 20 minutes d'avance. La relève se poursuit. Nous saluons les partants avec qui nous avons cohabité pendant deux à quatre mois, nous accueillons les arrivants avec l'oeil noir du cerbère.

Nous patrouillons en ville, toujours aussi active même un samedi matin. La circulation est toujours aussi désordonnée, je n'ose pas dire bordélique. Sur les boulevards à quatre voies, je circule sur la voie de gauche pour doubler l'éternel flot des triporteurs taxis, des motos, des piétons, des charrettes, des ânes, des chèvres errantes. Soudain, en face de moi, sur ma voie de circulation, je vois une moto qui remonte à contre sens et à toute allure le flot des voitures. Je me rabats sur la droite pour le laisser passer. Personne, ou si peu, ne respecte les feux de signalisation. Les véhicules débouchent de gauche et de droite sans que les conducteurs ne s'inquiètent des flots qu'ils vont croiser. J'ai le doigt en permanence sur le bouton de l'avertisseur sonore, seul moyen d'attirer l'attention des automobilistes. Sur l'avenue du marché, nous avançons presque au pas. Mieux vaut éviter l'accident, même le simple accrochage. Je ne dis pas que nous serions en danger mais cela évite bien des difficultés car généralement l'européen a toujours tort et le seul moyen de s'en tirer est de payer, de grosses sommes de préférence.

Nous nous arrêtons à La Rose du Désert pour boire un coca-cola, 2 000 frcs CFA les deux consommations. Nous sommes les seuls clients. Cette halte rafraîchissante nous fait du bien.

L'après-midi, la sieste est écourtée. A 16h00, réunion d'information pour les nouveaux arrivants du 28 janvier. Mais nous apprenons que l'horaire de passage des prévôts est prévu à 18h10. Finalement, notre présentation prend place à 18h30.

Le soir, nous faisons le tour de la base pour de derniers adieux et partager un dernier verre avec ceux qui sont en instance de départ.

 

CINQUANTE HUITIEME JOUR

 

La gare au drapeau débute le défilé La gendarmerie est en tête des troupes, comme en France La gendarmerie Les gendarmes tchadiens Leur enthousiasme soulève la poussière

La gare au drapeau débute le défilé
La gare au drapeau débute le défilé 
Dimanche, 30 janvier 2011, 07h15, je me lève car aujourd'hui, contrairement à d'habitude, nous travaillons. Opération de colisage à 08h30 pour les caisses prenant l'avion le lendemain. Nous finissons à 10h00. Il est un peu tard pour commencer à faire quoi que ce soit d'autre, nous retournons au bureau pour nous mettre à jour.

Tiercé au foyer à 11h30, je ne joue pas. Jean-Marc avance les chevaux sur la piste.

Le cuisinier a également été relevé, le repas de ce dimanche est un test pour le nouveau, test réussi. Entrées diverses, toasts de saumon fumé, salade niçoise avec surimi, magret fumé sur asperges, en plat principal, jambon braisé avec gratin de pommes de terre et haricots verts, puis fromages, assiette de fruits ou glace au chocolat.

Cette après-midi, notre sieste est encore écourtée pour les mêmes raisons que la veille.

A l'issue de notre présentation powerpoint, nous mettons en oeuvre notre traquenard. Avec quelques autres comparses, direction un service à l'autre bout de la base. Nous y débarquons, au grand étonnement de son occupant, avec tables et chaises de camping, et plateaux repas. Le plus naturellement du monde, comme si nous étions chez nous, nous installons nos meubles et nos victuailles et commençons à dîner. L'affaire tourne bien vite à la franche rigolade.

 

CINQUANTE NEUVIEME JOUR

 

L'armée nationale tchadienne défile à son tour Pas de l'oie ? Plus haut les jambes !

L'armée nationale tchadienne défile à son tour
L'armée nationale tchadienne défile à son tour 
Lundi, 31 janvier 2011, 05h50, toutes les semaines de plus en plus tôt, cérémonie des couleurs. Certain détachement n'en a plus que le nom, puisque réduit à deux personnels. La majorité de la garnison est constituée de nouveaux arrivants, déconseillés de sport pendant les quinze premiers jours. Ils partent avec le COMDET pour un tour de base pédestre de mise en condition.

Avec Jean-Marc, je fais un tour de la piste de l'aéroport international de Abéché. 34 minutes pour un peu plus de 06 kilomètres, pas trop mal pour notre âge.

En bout de piste, des enfants ramassent du foin. Je les vois soudain s'enfuir en courant vers la ville et un homme, à moitié nu, passe devant nous en trombe et s'élance à la poursuite des enfants. Certainement un soldat de l'ANT, au saut du lit, qui fait respecter l'interdiction faite aux civils de pénétrer sur l'emprise de l'aéroport. Nous passons outre, sans plus nous en occuper.

La relève se poursuit.

Les personnels descendants traînent leur attente et leur ennui à travers toute la base. Nous les voyons passer à notre bureau à tour de rôle, pour un dernier adieu, un dernier café, quelques minutes à tuer.

La VAM prévue arrive vers 11h30, avec un nouveau contingent de personnels montants et, le plus important, le trésorier-payeur qui vient payer l'avance de solde mensuelle aux 08 militaires qui ne font pas partie de la relève, dont les deux prévôts. Il est accompagné par Fred, dit Maurice, prévôt de N'Djamena, à titre d'escorte.

Nico revient avec eux, après son petit dégagement sur la capitale. Il en revient pas particulièrement satisfait, n'ayant pas eu l'occasion d'en profiter pleinement.

Les opérations de paiement se font rapidement. Ils auront le temps de déjeuner avant de repartir à 13h30. Nous les accompagnons sur le tarmac où se regroupent les partants, ultimes adieux, ultimes échanges d'adresses, ultimes promesses de se revoir, ultimes plaisanteries. Ils embarquent et le Transal s'engage sur le taxi-way. Pascal nous lance un dernier adieu de la main par un hublot.

A notre surprise, l'appareil s'arrête, moteurs tournants, à l'entrée de la piste. Son stationnement se prolonge plusieurs minutes. On se demande s'il ne va pas faire demi-tour et débarquer tout son monde pour un prolongement de séjour d'un ou deux jours. Non, il attend juste qu'un avion arrivant se pose et dégage la piste.

Le Transal décolle, fait un tour au dessus de la base et s'éloigne vers l'est, vers N'Djaména, vers la France.

Ils ne sont qu'une dizaine à rester encore de l'ancienne équipe et à devoir s'en aller. Ils partiront vers la fin de la semaine, laissant le COMDET et les prévôts définitivement seuls avec les nouveaux.

Ils nous sont étrangers, dans leurs visages, leurs histoires, même dans leurs tenues car les personnels montants portent presque tous des uniformes camouflés désert. Nous devrons apprendre à les connaître, à travailler avec eux, à les apprécier, ou non.


 

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